Interopérabilité en Afrique de l’Ouest et du Centre : une nouvelle ère pour le secteur financier

1. Interopérabilité : qu’est-ce que c’est et pourquoi est-ce crucial ?

Dans le secteur de la finance numérique, l’interopérabilité désigne la capacité des acteurs financiers (banques, fintechs, opérateurs de mobile money) à effectuer des transactions fluides et instantanées entre leurs systèmes.

Cela signifie qu’un utilisateur de Wave, Orange Money, Moov Money ou de toute autre plateforme mobile peut désormais envoyer de l’argent instantanément et en toute sécurité à un utilisateur d’une autre plateforme, sans frais de transfert supplémentaires, et ce quel que soit le pays ou l’opérateur d’une zone donnée (nous nous concentrerons ici sur les zones CEMAC et UEMOA).

Ce concept est essentiel en Afrique, où le mobile money a explosé ces dix dernières années. Mais cette croissance s’est souvent produite au sein d’écosystèmes fermés, contrôlés par des opérateurs dominants, créant ainsi des silos.

Pourquoi c’est important :

  • Elle favorise l’inclusion financière, surtout en zone rurale.
  • Elle réduit les coûts pour les consommateurs.
  • Elle stimule la concurrence et l’innovation.
  • Elle pose les bases d’une économie numérique unifiée à l’échelle régionale.

Les deux grandes zones CFA en Afrique sont gérées par deux banques centrales: La BEAC et la BCEAO, qui chacune à leur tour avait lancé des initiatives vers l’interopérabilité.

2. L’interopérabilité imposée par la BEAC et la BCEAO

Dès 2018, la BEAC a publié l’instruction 001/GR/2018, définissant l’interopérabilité des paiements monétiques (mobile money, cartes bancaires, virements) à travers le système GIMAC. En avril 2020, le gouverneur Abbas Mahamat Tolli a annoncé que l’interopérabilité mobile au sein de la zone CEMAC est désormais opérationnelle.

Le GIMACPAY, système monétique intégré, est commercialisé depuis juillet 2020, avec 79 participants (opérateurs, banques, PSP). Pour la zone en Afrique de l’ouest, dans l’espace UEMOA, la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a lancé en 2021 un vaste projet d’interopérabilité régionale. En 2024, ce projet a débouché sur un cadre réglementaire obligatoire pour tous les opérateurs, obligeant tous les acteurs du mobile money et de la finance numérique à devenir interopérables.

La mise en place de GIMACPAY rend désormais possible l’envoi d’argent entre utilisateurs de différents comptes (wallets ou bancaires), dans toute la zone CEMAC, comme au sein de l’UEMOA. À la différence de l’UEMOA où Wave dominait, en CEMAC, ce cadre est centralisé dès l’origine via BEAC, ce qui structurerait un terrain de jeu plus régulé dès le départ.

Un communiqué du 1er août 2025 de la BCEAO a annoncé le lancement officiel de la Plateforme Interopérable du Système de Paiement Instantané (PI-SPI) pour le 30 septembre 2025. Cette plateforme permettra des transferts instantanés, sécurisés et interopérables dans toute l’UEMOA, peu importe la banque, le compte ou l’émetteur. Ceci vient après une série « de tests en conditions réelles utilisations » faites depuis le 5 Juin 2025.

Ceci a évidemment eu un impact sur plusieurs secteurs et startups. Par exemples, sur les acteurs concernés :

  • Opérateurs de mobile money (MTN MoMo, Orange Money, Airtel Money, etc.) : soumis à la même interopérabilité imposée.
  • Banques traditionnelles, MFIs, et établissements de paiement : intégrés dans le même réseau.
  • Fintechs & PSP : désormais régulés, avec obligation de licence pour accéder à GIMAC

Plusieurs conséquences sont à noter, donc les suivantes :

  • Fin du cloisonnement propriétaire : l’avantage concurrentiel fondé sur un réseau fermé disparaît.
  • Égalisation des chances : comme dans l’UEMOA, les retardataires peuvent entrer sur le marché via GIMAC sans construire une infrastructure coûteuse.
  • Commoditisation de l’innovation basique (transfert instantané) : valeur repoussée vers services à plus haute valeur ajoutée.
  • Charge réglementaire initiale pour les acteurs en place, mais un terrain plus structuré pour tous à long terme.

3. Étude de cas : Wave, victime de sa propre innovation ?

Image Source: Wave

En Afrique de l’Ouest, Wave a redéfini les règles du jeu avec son application simple, des frais à 1 %, et un contrôle total de la chaîne de valeur. Résultat ? Une adoption fulgurante dans plusieurs pays, et maintenant une entrée (certes timide) sur l’Afrique centrale en commençant par le Cameroun. Puis vint l’interopérabilité.

Le projet d’interopérabilité imposé bouleverse le modèle de Wave :

  • Fin des écosystèmes fermés : Le principal avantage compétitif de Wave disparaît vu qu’est éliminé la fidélisation forcée de l’utilisateur à une seule plateforme
  • Effet d’aubaine pour les concurrents : Le marché a été éduqué par Wave, mais les autres en profitent sans le coût initial.
  • Standardisation de l’innovation : Le transfert instantané n’est plus un différenciateur.
  • Double effort réglementaire : En tant que pionnier, Wave doit s’adapter en premier aux nouvelles normes.

Malgré une anticipation probable, la régulation nivelle le terrain et réduit l’avantage de l’innovation initiale. Les acteurs déjà matures comme Wave doivent : 1) assumer en premier les coûts de mise en conformité, et 2) modifier des systèmes complexes existants, ce qui est plus coûteux que bâtir from scratch.

4. Sectors additionnels impactés par la nouvelle norme

En plus de la Fintech et du secteur bancaire de façon globale, plusieurs secteurs seront (a priori) positivement affectés par cette norme d’interopérabilité:

E-commerce & Marketplaces

  • Bénéficieront de moyens de paiement interopérables intégrables facilement
  • Moins de friction pour les clients, meilleure conversion

Agritech et Healthtech

  • Les solutions de paiement interopérables permettent le paiement décentralisé des soins ou des intrants agricoles
  • Les populations rurales non bancarisées peuvent plus facilement participer à l’économie numérique

Insurtech & micro-assurance

  • Plus facile de collecter des primes à distance, quel que soit le portefeuille utilisé par l’assuré
  • Augmentation du TAM (total addressable market)

Transferts de diaspora

  • Moins de friction à la réception des fonds dans la zone UEMOA
  • Opportunité pour les fintechs de remittance d’intégrer directement tous les wallets régionaux

Conclusion : Une nouvelle donne pour la finance numérique

Résumons l’interopérabilité dans les deux zones: UEMOA et CEMAC:

Critère UEMOA (BCEAO) CEMAC (BEAC)

Banque centrale responsable

BCEAO (Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest)

BEAC (Banque des États de l’Afrique Centrale)

Pays membres

Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo

Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée Équatoriale, Tchad

Début du projet d’interopérabilité

2021

2018

Infrastructure technique

Switch régional développé avec l’appui d’acteurs techniques tiers

GIMACPAY, switch régional piloté par GIMAC

Cadre réglementaire

Progressif, accéléré depuis 2023–2024

Cadre réglementaire formalisé depuis l’instruction 001/GR/2018

Obligation d’interconnexion

Oui, imposée à tous les PSP, y compris les fintechs

Oui, imposée à travers GIMAC et autorisation en tant qu’établissement de paiement

Type d’acteurs concernés

Banques, opérateurs télécoms, fintechs

Banques, MNOs, fintechs autorisés par la BEAC

Portabilité des transferts

Interopérabilité entre wallets et banques dans plusieurs pays UEMOA

Interopérabilité wallets-wallets, banques-wallets dans tous les pays CEMAC

Technologie utilisée

API standards, connexions au switch central BCEAO

Connexion centralisée via GIMACPAY

Niveau d’ouverture du système

De plus en plus ouvert, mais encore fragmenté sur le terrain

Système très centralisé, avec intégration obligatoire via GIMAC

Adaptation des fintechs

Nécessite des investissements lourds (ex. : Wave, Orange, etc.)

Licences strictes et intégration technique imposée (agrément BEAC + GIMAC)

Avantage concurrentiel conservé ?

Réduction de la différenciation technique (commoditisation du transfert)

Faible différenciation, mais régulation plus lisible

Impact sur les pionniers

Effacement des barrières propriétaires (ex. : Wave affaibli)

Moins d’effet pionnier car système plus encadré dès le départ

État d’avancement (2025)

Opérationnel dans plusieurs pays, mais défis d’implémentation persistants

Maturité plus avancée, adoption par plus de 70 acteurs

L’interopérabilité, désormais imposée à la fois en UEMOA et en CEMAC, transforme le paysage concurrentiel. Si cela favorise l’inclusion et l’arrivée de nouveaux entrants, cela rend également l’innovation plus difficile à valoriser.

Les pionniers comme Wave doivent se repositionner sur des services à forte valeur ajoutée, ou s’étendre à d’autres zones. L’ère des “forteresses propriétaires” touche à sa fin ; place à une finance ouverte, intégrée, et régulée.

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